patrimoine bases habitat
Dans les années 70, jeunes étudiants en architecture, sensibilisés à l'environnement et à l'utilisation des matériaux de construction, habitués à remettre en cause les idées reçues, nous décidons de travailler sur les systèmes constructifs simples, économiques et facilement appropriables par l'usager. Nous découvrons un peu par hasard, dans la région Rhône-Alpes, une technique vernaculaire où l'on prend la terre sur place, pour réaliser des murs en terre crue, appelée "pisé". Subjugués par la simplicité et la rapidité de ce système constructif, nous découvrons très vite un patrimoine régional urbain et rural ignoré des architectes et de l'histoire de l'architecture, datant du XIIème au XXème siècle, avec un habitat populaire mais aussi avec des bâtiments publics et privés de prestige : mairies, écoles, églises, maisons bourgeoises, domaines et châteaux dans la région lyonnaise.

C'était la première prise de conscience de l'état d'un savoir et d'une tradition orale qu'il fallait transcrire et décrire par une première publication réalisée grâce à l'institut de l'Environnement et au secrétariat d'état à la Culture en 1975.

Afin d'approfondir nos découvertes, nos interrogations et nos réflexions, nous décidons de rencontrer les gens de métier, constructeurs anonymes, architectes, ingénieurs, détenteurs d'un savoir.

C'est alors la période des grands voyages et des grandes questions pour discuter et échanger des expériences avec Hassan Fathy en égypte, André Ravereau en Algérie, Jacques Dreyfus et Philip Langley au Sénégal, Jean Hensens et Alain Masson au Maroc, Marcel Mariotti, Paul Dufournet et Jean Dethier en France, Pierre Apéti Dansou au Togo, Jacques Simonnet en Côte d'Ivoire, Alex Hammond au Ghana, Alvaro Ortega en Colombie, Alester Knox en Australie et pour les USA, David Miller, Paul Graham Mac Henri, éric Carlson, Hans Sumpf, Antoine Predock, William Lumpkins et Richard Ferm, sans oublier les bibliothèques et bibliothécaires de nombreuses institutions de ces pays où nous avons pu retrouver les ambiances du "Siècle des Lumières" avec François Cointereaux et ses nombreux écrits sur "le pisé moderne" mais aussi l'Abbé Rozier, George-Claude Goiffon, Jean-Baptiste Rondelet... Vitruve sans oublier les écrits de l'Allemagne entre les deux guerres avec Richard Wagner, Wilhelm Hauth, Richard Niemeyer, en Angleterre avec William Cough Ellis, aux USA, Rolph Patty et en Australie, George.F. Middleton.

Pendant cette période de voyages et d'études, nous avons collecté plus de 1000 documents constituant l'embryon de ce qui va devenir la première bibliothèque au monde sur la situation de l'Architecture de terre et ses développements.

Nous créons alors le premier groupe interdisciplinaire composé d'architectes, d'ingénieurs et d'ethnologues pour définir et mettre en place un programme d'expérimentation de prototypes de bâtiments en France, mais également en Algérie, Mauritanie, Sénégal, Mali et Burkina-Faso.

Une accumulation d'expériences qui va s'avérer extrêmement fructueuse par la suite car nous constatons que la demande sociale reste importante et que la majorité de la population n'a pas d'autres choix que d'utiliser la terre comme matériau de construction car comme l'a déclaré un jour sur un ton aphoristique l'architecte anglais John Turner : "un matériau n'est pas intéressant pour ce qu'il est mais pour ce qu'il peut faire pour la société".

Nous publions les premiers résultats de ces études et expérimentations avec "Construire en terre" aux éditions Alternatives en 1979.

Entre 1980 et 1990, nous constituons les premiers éléments de base d'un savoir scientifique et technique grâce à la création d'un laboratoire de recherche, CRATerre-EAG, habilité par le Ministère de l'équipement et du Logement. Très vite nous occupons une position clé dans la recherche car le dynamisme de nos activités dans la région Rhône-Alpes permet la mise en place d'un véritable programme d'enseignement supérieur par la création d'un CEA de troisième cycle "Architecture de Terre", d'une durée de deux ans, habilité par le Ministère en 1984 et un programme de recherche scientifique qui se renforce grâce aux actions coordonnées menées avec l'université de Grenoble, le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment et l'école Nationale des Travaux Publics de l'état de Lyon.

L'appui de l'état se manifeste aussi dans un ensemble d'actions qui ouvrent l'époque de nouvelles démonstrations architecturales sur le territoire national comme le "Domaine de la Terre" sur la Ville Nouvelle de l'Isle d'Abeau, mais également la réalisation de 10 000 logements sur l'île de Mayotte, avec l'installation de 15 briqueteries des projets de coopération avec trois ministères concernés par le programme "Rexcoop", initié et coordonné par Daniel Biau de 1982 à 1987, où pour notre part, nous avons principalement travaillé au Chili, Maroc et Mali, mais aussi avec les ambassades et leurs services culturels de la coopération scientifique et technique, au Nigeria, en Inde et en Arabie Saoudite pour favoriser la création et le développement de Centres d'Application chargés de la diffusion du savoir scientifique et technique.

C'est aussi la période des colloques internationaux co-organisés en 1984 à Bruxelles, en 1985 à Pékin, en 1987 à Rome, en 1990 aux USA, en 1993 au Portugal. Cependant, la diffusion du savoir des architectures traditionnelles populaires et savantes passe à travers le monde grâce à la dynamique influencée par l'exposition "Des Architectures de Terre" réalisée par Jean Dethier du Centre Georges Pompidou avec une itinérance dans 24 villes de 1981 à 1996, co-gérée avec notre équipe. A la demande du Plan Construction, c'est aussi la période de la structuration de la science par les définitions des voies de la recherche, mais surtout par la première publication scientifique réalisée par deux chercheurs de notre Laboratoire de recherche, Hugo Houben et Hubert Guillaud. En effet, le "Traité de Construction en Terre", publié en 1989 par les éditions Parenthèses confirme la structuration du savoir scientifique élaboré au cours des dix dernières années.

Ces mêmes années, le lancement d'un Bulletin d'Information traduit la volonté de diffusion des connaissances. L'équipe reçoit le prix "Technologie sans Frontières" décerné en 1989 par le Ministère de l'Environnement pour ses travaux réalisés dans le transfert de technologies qui contribuent à préserver l'équilibre écologique, le couvert végétal, les ressources en eau, ou encore les agrégats exploités en carrière grâce aux développements des technologies et des équipements industriels de cette nouvelle filière terre crue créant de nouveaux marchés et un développement local.

A partir des années 90, l'équipe se voit attribuer la distinction d'honneur du "Prix Habitat 1990" par le Centre des Nations Unies pour les Etablissements Humains (CNUEH-Habitat). Le prix est une gratification internationale récompensant des contributions exceptionnelles d'individus ou organisations oeuvrant à l'amélioration des établissements humains à tous les niveaux.

Nous décidons d'orienter l'ensemble de nos activités en étroite collaboration avec des partenaires internationaux pour participer par les apports de la recherche de l'Ecole d'Architecture de Grenoble au débat international qui porte sur l'un des grands défis de cette fin de siècle : l'urbanisation accélérée de notre planète et la situation du logement des sans-abri qui représentent le quart de la population mondiale.

Nous construisons alors nos actions de formation, de recherche et d'expérimentation autour de trois domaines particuliers pour continuer à faire avancer l'état des connaissances avec le milieu scientifique, technique et professionnel.

1. Le patrimoine mondial et la culture architecturale :

Le premier domaine est celui de l'environnement et de son patrimoine mondial, de sa conservation et préservation en utilisant les cultures constructives et les savoirs techniques pour un développement régional.

Lors d'un séminaire tenu à Yazd en Iran en 1970, les premières recommandations concernant le besoin de préserver le patrimoine mondial d'architecture de terre étaient exprimées. Depuis, des actions sporadiques ont été menées et surtout, beaucoup de rapports et recommandations peu appliqués par manque de savoir et de réflexion sur l'approche scientifique du problème. Sur ce constat, une convention étaient signée en 1989 entre l'ICCROM, le CRATerre et l'Ecole d'Architecture de Grenoble. Cette convention s'inscrit dans un plan à long terme 1990-2000 avec l'ICCROM, Centre International d'études pour la Conservation et la Restauration des Biens Culturels à Rome pour lancer un programme pluriannuel sur la "Préservation des architectures de terre", le projet "GAIA", qui développe des actions coordonnées au niveau international, de recherche, formation, coopération technique et diffusion scientifique. Le "Projet GAIA" est engagé" sur plusieurs années, depuis, 4 cours internationaux ont été organisés ; l'école d'Architecture de Grenoble en 1989-90-92-94, un réseau d'environ 125 professionnels intéressés par les problèmes de préservation a été mis en place d'une école spécialisée pour la formation de maîtres-maçons au Portugal en 1995 et un cours régional panaméricain est organisé en fin 1996 sur le site de Chan-Chan au Pérou.

2. L'habitat économique et le développement durable :

Le deuxième domaine est celui des établissements humains et de l'habitat économique qui constitue un secteur extrêmement important de l'économie locale par l'approche de la "facilitation" où l'on mobilise le potentiel et les ressources de l'ensemble des agents participant à la production et à l'amélioration du logement pour créer des conditions favorables à un développement durable.

Nous décidons de mener des actions de développement en liaison avec le CNUEH-Habitat pour appuyer l'action de la Stratégie Mondiale du Logement jusqu'en l'an 2000 proclamée en décembre 1988 par l'Assemblée Générale des Nations Unies.

"Cette stratégie constitue une étape historique vers l'amélioration des conditions de logement des pauvres et de l'ensemble des populations défavorisées du monde.

Les efforts déployés au cours des dernières décennies pour la production d'un habitat économique sur économique sur une large échelle ont en grande partie échoué car cette quête d'une production massive de logements ignorait le fait que les normes utilisées pour les logements conçus, produits, voire subventionnés étaient en fait inaccessibles pour la grande majorité des groupes à faible revenu.

Le fait que la part la plus importante et la plus économique de la production soit assurée par le secteur informel n'a pas conduit les responsables à reconnaître que le secteur était en mesure de répondre à la demande en matière de logements à faible coût. Le manque de ressources et de personnel qualifié, associé à des appareils juridiques et administratifs souvent hérités des anciennes administrations coloniales, ne constituent que deux des obstacles majeurs à affronter".

Avec notre "pisé de la région Rhône-Alpes", nous nous sommes confrontés au même obstacle il y a 20 ans : il apparaît clairement qu'il faut penser "habitat et architecture des régions" et non "normalisation internationale". C'est la raison pour laquelle nous décidons en nous appuyant sur notre savoir scientifique et technique, de participer plus concrètement au développement de la Stratégie Mondiale du Logement pour l'an 2000, en collaborant avec des organismes internationaux.

3. La production de matériaux et la normalisation :

Le troisième domaine est celui de l'économie locale de la production des matériaux de construction et leur mise en oeuvre avec le matériel et les outils générant la création d'emplois. C'est aussi celui de la normalisation des techniques.

Dans les années 1970, il n'existe aucun matériel spécifique et le monde de l'industrie ignore la filière terre crue. Il a donc fallu tout initier : l'intérêt des industriels au développement d'équipements scientifiques, l'invention des méthodes de production, la définition des paramètres technico-économiques, l'adaptation des méthodologies des études de faisabilité, la formulation des critères de convenance des matières premières, l'élaboration des critères de choix des filières et le développement d'une démarche-qualité spécifique. D'une coopération individuelle avec des industriels, nous avons évolué ces dernières années vers une approche plus globale pour l'ensemble de la profession, concrétisée dès 1987 par une coopération avec l'ONUDI (Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel) et le CDI (Centre pour le Développement Industriel de l'Union Européenne).

Dans ce cadre, nous menons des études sectorielles, participons à des forums industriels, développons des outils de promotion et de diffusion par la réalisation de guides pratiques destinés aux professionnels. Nous mettons en place avec les partenaires scientifiques des commissions techniques en vue de la normalisation des filières "terre crue".

Une veille technologie enregistre systématiquement tous les développements et innovations, un service conseil est assuré en coordination avec notre programme de recherche et d'assistance technique aux constructeurs, industriels et entrepreneurs spécialisés, pour chacune des filières.

L'équipe s'associe à une Fédération européenne "basin" qui réfléchit sur les questions de production et mise en oeuvre des matériaux dans le cadre de l'habitat économique, composée du GATE / GTZ (coopération allemande), de ITDG (Intermediate Technology Development Group) en Angleterre et du SKAT (Centre universitaire suisse pour les Technologies Appropriées).

CRATerre EAG - des années 70 à aujourd'hui
copyright CRATerre EAG - 2004 - Damien Vielfaure & Grégoire Paccoud - dernière mise à jour le 22/01/2010
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